QUAND DES ARMES S'ÉGARENT
La nouvelle menace mortelle des détournements d'armes vers des milices au Yémen
Cela fait près de quatre ans que le Yémen est en proie à une guerre dévastatrice.
Une coalition d’États arabes — dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et approvisionnée par les États-Unis d’Amérique et de nombreux pays européens — bafoue le droit international humanitaire, notamment en bombardant des zones résidentielles, des hôpitaux et des marchés. Les houthis commettent aussi des atteintes aux droits humains : ils tirent avec des armes imprécises dans des quartiers civils, utilisent des missiles avancés pour viser des villes civiles en Arabie saoudite et installent des mines antipersonnel interdites par des textes internationaux. Par ailleurs, les deux parties au conflit empêchent des civils d’avoir accès à l’aide humanitaire dont ils ont désespérément besoin ; elles font aussi disparaître des détenus et leur infligent des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
Pris entre deux feux, des milliers de civils ont été tués et des millions risquent d’être victimes de la famine.
OFFENSIVE D’AL HODEÏDA
Lors de la dernière offensive avant le cessez-le-feu, les houthis se sont implantés dans des zones civiles, ont miné les routes d’accès à la ville et ont militarisé les hôpitaux, tandis que la coalition a pilonné la ville, y compris l’hôpital Al Thawra le 11 novembre, obligeant des centaines de patients et de membres du personnel à fuir. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite effectue les frappes aériennes et les Émirats arabes unis mènent l’offensive terrestre.
"J’ai entendu plusieurs explosions et des balles ou des éclats d’obus tambourinaient sur le toit métallique de l’entrée, comme de la pluie. J’entendais toujours des explosions lorsque je suis sorti de l’hôpital, sans y prêter véritablement attention. Nous avions tous trop peur pour notre vie."
- Travailleur médical à l'hôpital al-Thawra
Les combats intermittents pour le contrôle du port ont ralenti l’acheminement vital de l’aide humanitaire et des biens essentiels dans un pays affamé et ont provoqué l’exode massif de plus d’un million de civils de l’ensemble du gouvernorat d’Al Hodeïda.
"C’était un voyage très difficile. Dieu sait que nous avons souffert. Les missiles pleuvaient sur nos têtes. Quelqu’un nous arrêtait pour nous avertir de la présence de projectiles, puis un autre nous arrêtait pour nous avertir de la présence de mines, et nous ne faisions que crier."
-Une femme de 25 ans de Qataba
LIEUX DE DETENTION TENUS PAR LES ÉMIRATS ARABES UNIS
Dans les faits, les Émirats arabes unis contrôlent le sud du Yémen par l’intermédiaire de Security Belt et Elite Force, des milices entraînées, équipées et financées directement par eux.
En mai 2018, une délégation d’Amnesty International s’est rendue à Aden pour enquêter sur le réseau de lieux de détention secrets tenus par les Émirats arabes unis et surnommés « sites noirs ».
Nous avons entendu des récits faisant état d’arrestations sous la menace d’une arme, de torture par décharges électriques, de simulacres de noyade, de suspension au plafond, d’humiliations à caractère sexuel, de détention à l’isolement prolongée, de conditions sordides et de manque d’eau et de nourriture.
Les forces de sécurité soutenues par les Émirats arabes unis qui gèrent ces centres portent des fusils bulgares et conduisent des véhicules blindés américains.
DETOURNEMENTS D’ARMES
Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et d’autres États européens ont été critiqués, à raison, parce qu’ils fournissent des armes aux forces de la coalition et l’Iran envoie des armes aux houthis. Cependant, une nouvelle menace se fait jour.
Alors que la guerre terrestre évolue, les armes ne sont plus seulement utilisées par les forces émiriennes au Yémen mais aussi cédées à des milices alliées à la coalition, qui échappent totalement à l’obligation de rendre des comptes et dont certaines sont accusées de crimes de guerre.
Photo d’arrière-plan : Une mitrailleuse chinoise Type 80, détournée vers le Yémen. Conflict Armament Research a recensé des marquages similaires ailleurs. [Crédits photo © AFP/Getty Images]
Photo ci-dessous : Marquages d’une mitrailleuse M80 7,62 x 54 mm R de fabrication chinoise photographiée en possession des forces de l’APLS-Opposition près de Kajo-Keji, au Soudan du Sud, le 12 juin 2017. (c) iTrace. [Remarque : iTrace n’a pas participé à cette enquête et n’est en aucun cas responsable de ses conclusions.]
Les Émirats arabes unis sont l’un des principaux intermédiaires.
Trois chars Leclerc (France), un International MaxxPro (États-Unis), deux G6 Rhio (Afrique du Sud), un Patria (Finlande), un Oshkosh M-ATV (États-Unis), un BAE Caiman (États-Unis) © Sky News Arabia
Trois chars Leclerc (France), un International MaxxPro (États-Unis), deux G6 Rhio (Afrique du Sud), un Patria (Finlande), un Oshkosh M-ATV (États-Unis), un BAE Caiman (États-Unis) © Sky News Arabia
Vidéo d’un convoi militaire en route pour Al Hodeïda montrant des véhicules blindés et des chars américains, français et finlandais — de marques et modèles identiques à ceux vendus aux Émirats arabes unis.
De nombreux éléments indiquent que des milices soutenues par les Émirats arabes unis, et qui échappent à l’obligation de rendre des comptes, utilisent des véhicules de mêmes types.
AUTRES ARMES
Les États occidentaux continuent malgré tout d’approvisionner en armes les Émirats arabes unis, ainsi que l’Arabie saoudite et les autres membres de la coalition.
Depuis le début du conflit au Yémen, des pays ont fourni plus de 3,5 milliards de dollars* des États-Unis en armes conventionnelles lourdes, armes légères, armes de poing, pièces détachées et munitions rien qu’aux Émirats arabes unis.
En dépit des graves atteintes aux droits humains commises par les Émirats arabes unis et les milices agissant pour leur compte, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, les États-Unis, la France, la République tchèque, la Turquie et le Royaume-Uni, entre autres, ont approvisionné récemment les Émirats arabes unis.
* Dérivé des données SIPRI et UN Comtrade
Sources de données pour les cartes ci-dessous: Norwegian Initiative on Small Arms Transfers (NISAT), Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) et pays déclarants